Pour rappel, ou si les termes ne vous inspirent pas grand chose, le Quantified self est une forme de mise en scène de soi par les chiffres. Des pratiques de quantification du quotidien qui peuvent concerner en vrac : son activité physique, sa perte de poids (du moins sur l’objectif), son humeur à un instant T, son temps de sommeil…
Je vous renvoie d’ailleurs à cet article d’InternetActu pour y voir plus clair, qui souligne qu’il s’agit là :
– D’une pratique marginale, cantonnée à des domaines spécifiques
– Ponctuelle : “une fois l’évaluation faite, la quantification n’a plus de sens”
A première vue donc, des pratiques un peu farfelues. Disons, peu communes, car qui irait sur le long terme enregistrer la moindre de ses activités à part Gordon Bell, le chercheur de chez Microsoft qui a pris l’habitude de se balader avec une caméra sur la tête ?
Et pourtant, le mouvement prend de l’ampleur. Pour exemple, le succès du Nike Fuelband, qui permet de mesurer son activité physique, se fixer des objectifs, partager ses résultats sur les réseaux sociaux et défier ses contacts (le groupe considère en effet que le Fuelband a permis de faire bondir les ventes de sa catégorie Equipment de 18% en 2012 – contre -1% en 2011). Ou encore, le Klout Score – the standard for Influence. Un indicateur qui compile son activité sur les réseaux sociaux (commentaires, likes, partages…) pour quantifier son e-réputation.
La moindre activité du quotidien peut donc être compilée, mesurée, enregistrée – pour autant qu’on y trouve un intérêt. En cela, certaines applications ont ajouté une dimension de gamification au dispositif (en allant clairement plus loin que les exemples précédents, cantonnés à une logique de défi). C’est par exemple le cas de HabitRPG, un jeu de rôle en ligne où l’utilisateur se fixe de petits objectifs (prendre les escalier, moins grignoter, appeler sa mère) gagne des points d’expérience en fonction de ses progrès, passe des niveaux et s’octroie des récompenses.
Si dans l’idée, le Quantified Self peut concerner une multitude de domaines, on le retrouve bien souvent sur les thématiques sport et santé. On se mesure ainsi via des objets connectés, des appareils directement branchés sur son smartphone, des sites Internet ou encore de simples applications. Et le dispositif peut osciller entre minimalisme et spectaculaire :
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Tweet What You Eat : un site pour tenir le journal de ses aliments (et calories) consommés chaque jour, enregistrer ses progrès et sa perte de poids, pour les partager ensuite sur les réseaux sociaux
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AliveCor : une coque iPhone équipée de capteurs pour mesurer son rythme cardiaque
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CellScope : un gadget à brancher sur son smartphone pour ausculter sa peau en haute définition, et transférer ses résultats à des dermatologues
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Cure Together : un site pour compiler ses symptomes, son état de santé, son traitement pour partager ses expériences et se soigner ensemble
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Autre projet toujours plus innovant, celui de OM Signal : des vêtements intelligents pour mesurer son activité (rythme respiratoire, cardiaque, humidité de la peau, température, activité physique…). Ces données peuvent non seulement calculer le nombre de calories brûlées, mais aussi l’état émotionnel d’une personne – stressée, détendue.. Une fois partagées via son smartphone, elles permettent ainsi de suivre en temps réel l’état de santé de ses proches.
Mais le partage, justement, est une dimension qu’il convient de relativiser. Car si l’idée de reprendre une activité sportive grâce à une application comme MapMyFitness est assez séduisante sur le papier, elle pourra tout de suite sembler moins valorisante lorsqu’il s’agira de mettre en ligne les résultats de ses pénibles 12 premières minutes de footing. Et c’est bien ce que rappelle Hubert Guilaud dans l’article Internet Actu déjà cité : “souvent les quantifiés choisissent ce qu’ils mesurent : les utilisateurs ont donc tendance à mesurer des choses positives et n’hésitent pas à les suspendre quand elles deviennent déprimantes”.
On ne partage pas n’importe quoi, et surtout pas avec n’importe qui. Nike l’a bien compris en associant son FuelBand avec Path, le réseau social privé qui ne permet des connexions qu’avec son cercle proche. Un façon bienveillante d’encourager à publier ses prouesses sous couvert d’une audience choisie et limitée.
Si on peut s’interroger sur la pertinence de cette compilation de ses moindres faits et gestes – pour tout quantifier jusqu’à ses performances sexuelles – l’intérêt semble tout trouvé pour les marques. Une multitude de données librement émises et partagées, qui renseignent sur non seulement sur des pratiques mais plus largement sur des habitudes de vie, il y a là de quoi affoler tout bon concepteurs de programmes CRM. De là à repenser très fort au cas Target et à développer un discours alarmiste, il n’y a qu’un pas.